Quand les mots font du breakdance : l’orthophonie face aux troubles neurologiques fonctionnels
- melaniemahe
- 3 juin
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 sept.
Ah, les Troubles Neurologiques Fonctionnels (TNF) n’en finissent pas de jouer les artistes ! Après avoir vu le corps faire des mouvements étranges, voici maintenant que la parole, la voix et la déglutition se mettent aussi à improviser. Heureusement, l’orthophonie est là pour remettre un peu d’ordre dans cette comédie parfois désorganisée.
Inspiré des recommandations du Dr Guilhem Carle-Toulemonde, publiées dans l’excellent ouvrage Les Troubles Neurologiques Fonctionnels (coordonné par Béatrice Garcin, Alexis Homs et Isabel Tavares), faisons le tour — avec le sourire — de ce que l'orthophonie peut apporter face à ces troubles.
Les stars du casting fonctionnel ORL
Dans les TNF touchant le langage et la sphère ORL, on croise une belle palette de symptômes. Petite revue (non exhaustive) des vedettes :
🔸 Dysphagie fonctionnelle
Quand avaler devient difficile sans qu’aucune lésion n’explique le problème. Le cerveau, un brin anxieux, dérègle le contrôle de la déglutition.
🔸 Dysphonie fonctionnelle
La voix devient rauque, voilée, parfois absente, alors que les cordes vocales fonctionnent bien d’un point de vue organique.
🔸 Toux fonctionnelle
Toux persistante, gênante, sans cause médicale identifiée, mais bien réelle pour le patient.
🔸 Bégaiement fonctionnel
Blocages, répétitions soudaines, là encore sans trouble neurologique ou lésion cérébrale retrouvée.
🔸 Syndrome de l’accent étranger
Phénomène rare mais spectaculaire : la personne parle soudain avec un accent perçu comme étranger… sans jamais avoir pratiqué cette langue. (Non, ça ne fait pas de vous un espion international.)
Pourquoi ces troubles s'installent-ils ?
Comme souvent dans les TNF, plusieurs facteurs peuvent précipiter ou entretenir les symptômes. Reprenons-les :
Facteurs précipitants
Biologiques :
Tension musculaire chronique
Infection virale des voies aériennes
Inhalation de substances toxiques ou odeurs nocives
Fausse route récente
Surutilisation professionnelle des cordes vocales
Iatrogénie (c’est-à-dire des troubles causés par des soins médicaux eux-mêmes)
Psychologiques :
Dilemmes moraux ou ambivalence intérieure
Sentiment d’être "muselé" (secret familial, trauma, maladie en cours d'exploration)
Sociaux :
Stress relationnel
Accumulation rapide d’évènements de vie négatifs
🔄 Facteurs perpétuants
Biologiques :
Hypersensibilité aux sensations ORL et respiratoires
Douleurs ORL
Psychologiques :
Peur et évitement des situations liées à la parole ou à la déglutition
Pensées négatives sur une potentielle dangerosité de parler ou d’avaler
Hypervigilance centrée sur les sensations corporelles
Incorporation des symptômes à l'identité du patient
🗣️ La rééducation orthophonique : mode d’emploi
Face à ces troubles, l'orthophoniste joue à la fois le rôle de pédagogue, de coach vocal et de maître zen. La prise en charge suit plusieurs étapes :
1️⃣ Identifier et expliquer
Expliquer au patient le mécanisme fonctionnel de ses troubles (le système est intact mais dérègle son fonctionnement automatique).
2️⃣ Récupérer les schémas moteurs naturels
Réactiver les mouvements automatiques via des exercices ludiques et des tâches simples, sans mettre trop de pression consciente.
3️⃣ Réapprendre à contrôler
Travail progressif sur l’initiation volontaire de la parole, de la phonation ou de la déglutition, avec :
Manœuvres de distraction (imiter une voix, jouer avec les syllabes)
Décomposition des sons
Exagération volontaire de la phonation
4️⃣ Généraliser dans la vie quotidienne
Étendre peu à peu les exercices à des situations réelles de plus en plus complexes.
5️⃣ Jouer sur les contrastes
Faire percevoir la différence entre le mouvement anormal et le mouvement récupéré.
6️⃣ Travailler sur les pensées
Accompagner le patient pour limiter les pensées négatives et anticiper d'éventuelles rechutes.
7️⃣ Adapter l'intensité de la prise en charge
Ne pas hésiter à interrompre la rééducation si aucune amélioration ne se dessine et que la motivation s'effrite.
Quelques approches spécifiques selon les symptômes
💡 Fausset fonctionnel :Faire produire des sons graves, allonger la prononciation des syllabes ou voyelles.
💡 Dysphonie fonctionnelle :Lire à voix haute, chanter, retrouver la fluidité vocale par des exercices plaisants.
💡 Bégaiement fonctionnel :Lire en marchant activement, ajouter des gestes pour détourner l’attention.
💡 Mutisme akinétique (quand le patient est totalement bloqué pour parler) :
Produire des sons naturels (toux, éternuements, gargarismes)
Introduire progressivement murmures et chants pour relancer la voix.
Quelques témoignages :
Claire, 42 ans, dysphonie fonctionnelle :"Ma voix se coupait sans prévenir. Impossible de faire un appel téléphonique, de passer une réunion au travail… On m’a même demandé si j’avais un cancer des cordes vocales. Quand l’ORL a parlé de trouble fonctionnel, j’ai été soulagée et perdue à la fois. L’orthophonie m’a appris à poser ma voix, à la rééduquer petit à petit. Aujourd’hui, je peux à nouveau parler normalement."
Julien, 28 ans, dysphagie fonctionnelle :"Avaler un simple verre d’eau me paraissait insurmontable. J’avais peur de m’étouffer à chaque gorgée. Les séances d’orthophonie m’ont permis de retrouver confiance, de réapprendre les bons gestes de déglutition et surtout d’apaiser ma peur."
Sophie, 36 ans, syndrome de l’accent étranger :"Du jour au lendemain, mon entourage m’a dit que je parlais avec un accent russe ! Pourtant, je n’ai jamais appris cette langue. L’orthophoniste m’a expliqué le fonctionnement de ce symptôme et on a travaillé ensemble pour retrouver ma voix d’origine."
Marc, 50 ans, bégaiement fonctionnel :"Je n’avais jamais bégayé avant. Et d’un coup, ça m’a pris, surtout en public. Les exercices ludiques, les lectures en marchant, les jeux de souffle avec mon orthophoniste m’ont énormément aidé. J’arrive à gérer ces blocages beaucoup mieux aujourd’hui."
Élise, 22 ans, mutisme akinétique :"Je ne pouvais plus sortir un seul mot. Mon corps me bloquait. Avec beaucoup de patience, des exercices progressifs et une prise en charge bienveillante, j’ai pu réentendre le son de ma voix."
Ces quelques parcours illustrent toute la richesse du travail orthophonique dans les TNF. Avec une approche adaptée, de nombreux patients parviennent à retrouver leurs capacités vocales et à reprendre confiance dans leur communication au quotidien.
Et toujours : accepter, expliquer, accompagner
La réussite de la rééducation orthophonique passe avant tout par :
l’acceptation du diagnostic fonctionnel,
la motivation du patient à s’impliquer,
et la capacité à dédramatiser sans minimiser.
Oui, c’est sérieux. Oui, c’est réel. Mais avec un accompagnement adapté, on peut souvent réapprendre à "laisser parler" la voix et le corps.
En résumé : l’orthophonie, c’est un peu l’accordeur de piano des TNF de la parole.
Le clavier est intact, les cordes sont là… il faut juste réaligner les bonnes notes.
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